Les effets collatéraux de l’EAR sur l’immobilier détenu à l’étranger par des résidents fiscaux suisses

L’échange automatique de renseignements (EAR) est entré en vigueur en Suisse. La récolte de données a débuté au 1er janvier de cette année et les premières transmissions de renseignements se feront en 2018. La Suisse a conclu récemment des accords en matière d’EAR avec de très nombreux partenaires dont l’Union européenne. Cette nouvelle norme fiscale internationale qui porte sur les comptes financiers exclusivement a, de façon quelque peu paradoxale, mis certains propriétaires suisses de résidences secondaires à l’étranger devant des choix difficiles et entraîné beaucoup de questions et de fébrilité. Bonnes et fausses bonnes idées circulent dans le microcosme des propriétaires détenant des biens immobiliers à l’étranger. Petit retour en arrière sur la problématique et revue des actions à entreprendre sereinement.

La norme EAR en bref

L’EAR est une norme internationale qui définit la manière dont les autorités fiscales des pays participants échangent entre elles des données relatives aux comptes bancaires et aux dépôts titres (comptes financiers) de certains contribuables. Cette norme fiscale émanant de l’OCDE vise à lutter contre la soustraction d’impôt sur le plan international. A ce jour, plus d’une centaine de pays se sont engagés à appliquer ce nouveau standard international.

Concrètement, les établissements financiers (y compris certains véhicules d’investissement et établissements d’assurance) suisses soumis à l’EAR seront tenus de transmettre certaines données d’un contribuable étranger titulaire d’un compte financier à l’Administration fédérale des contributions, charge à l’autorité fédérale de relayer l’information à l’autorité fiscale du pays de domicile du titulaire dudit compte financier.

Les effets collatéraux de l’EAR sur l’immobilier détenu à l’étranger par des résidents fiscaux suisses

L’EAR ne porte que sur les comptes financiers, et exclu donc par définition, les autres actifs mobiliers (œuvres d’arts, aéronefs, etc.) ou immobiliers. L’EAR va néanmoins impacter de façon très importante l’immobilier par effet collatéral. En Suisse, un résident fiscal doit déclarer la détention d’immeuble(s) à l’étranger. L’immobilier étranger ne rentre certes pas dans la base taxable mais sa valeur et son rendement sont pris en considération pour la fixation des taux d’imposition de l’impôt sur la fortune et le revenu. Avec l’entrée en vigueur de l’EAR, nombre de propriétaires suisses sont face à une situation délicate : le patrimoine immobilier situé à l’étranger non déclaré (non couvert par le champ d’application de l’EAR) est très fréquemment lié à des comptes bancaires étrangers dédiés (compte bancaire courant permettant de payer des charges immobilières, encaisser des revenus locatifs, etc.). Ces comptes bancaires « de liaison » étant soumis à l’EAR, l’immobilier qui s’y trouve rattaché tombent donc, par effet collatéral, lui aussi sous le coup de l’EAR !

Quelles actions entreprendre avec l’immobilier étranger non déclaré ? Tour d’horizon des bonnes et fausses bonnes solutions

La récolte d’informations ayant débuté en 2017 (notamment pour les échanges avec l’Union européenne), la clôture du compte bancaire étranger n’a pas d’effet car l’information concernant cette clôture sera transmise à l’autorité fiscale suisse.

Une régularisation notamment des actifs immobiliers étrangers est-elle possible dès lors que l’EAR est entrée en vigueur et que la collecte d’informations a débuté ?

Les contribuables qui n'ont pas déclaré au fisc certains revenus ou biens peuvent le notifier aux autorités fiscales par le biais d’une procédure dite de dénonciation spontanée. S'il s'agit d'une première dénonciation spontanée et que l’autorité fiscale n'a pas déjà connaissance de l’état de faits constituant la soustraction d'impôt, cette régularisation peut se faire sans sanction pénale à la clef (le contribuable doit toutefois offrir son plein concours pour établir les éléments déterminants permettant de fixer le rattrapage d’impôts sur la période fiscale non prescrite). En cas de nouvelle soustraction d'impôt, le contribuable sera par contre passible d'une amende, même s'il se dénonce spontanément.

Dès que l’échange de renseignements entre états débutera (à compter de 2018 pour la Suisse), les différentes autorités fiscales cantonales pourront identifier des comptes non déclarés et retracer, éventuellement, des détentions immobilières étrangères non déclarées dans le cadre de l’analyse des relevés de comptes. Jusqu'à ce que l'échange de renseignements débute, le contribuable pourra initier une dénonciation spontanée sans risque particulier supplémentaire concernant la connaissance par l’autorité fiscale de la soustraction d'impôt. Dès 2018, le risque sera accru car le fisc possèdera les éléments factuels liés à la soustraction d’impôt rendant ainsi impossible une mise en œuvre d’une régularisation fiscale sans sanction. En d’autres termes, contrairement à certaines idées reçues, une procédure de dénonciation spontanée non punissable peut encore être initiée nonobstant l’entrée en vigueur de l’EAR. Une telle procédure ne sera plus possible une fois que le fisc suisse aura en mains les éléments financiers non déclarés, soit pas avant 2018.

Certains spécialistes avaient soulevé le risque que l’autorité fiscale considère (dans une approche restrictive) que le contribuable n’est plus en mesure d’empêcher le fait que le fisc obtiendra (tôt ou tard) par le biais du nouveau mécanisme d’échange automatique de renseignements la connaissance de la soustraction, rendant de facto impossible de réaliser la condition de la spontanéité de la dénonciation. Toutefois, ce risque semble ne pas se confirmer dans la pratique. Les autorités fiscales traitent en principe les dénonciations spontanées selon les mêmes règles que par le passé nonobstant le fait que ces dénonciations soient guidées à l’évidence par un changement de l’environnement règlementaire.

La propriété collective : une situation potentiellement délicate en matière de dénonciation spontanée non punissable

Les détentions immobilières peuvent revêtir des formes juridiques très diverses notamment lorsqu’il s’agit de propriété collective (copropriété, propriété commune pour les hoiries, etc.).

Une situation classique de détention commune d’immeuble(s) pouvant nécessiter une régularisation fiscale est une succession comportant un immeuble étranger non déclaré par le défunt. D’une façon générale, les détentions immobilières étrangères non régularisées sont souvent des « bombes à retardement » pour les futurs héritiers. Dans une telle situation, la procédure de rappel d’impôt simplifié pour les héritiers devrait être utilisée. Cette dénonciation spontanée particulière en matière successorale permet de réduire de façon significative le rattrapage fiscal dans le temps (limité à trois années en lieu et place du délai ordinaire de dix ans). Chaque héritier a le droit de demander seul le rappel d’impôt simplifié et ce, même contre la volonté des autres héritiers. Cette procédure de rappel d’impôt doit en principe être initiée avant de soumettre la déclaration fiscale successorale. Une telle procédure nécessite à l’évidence une concertation entre les héritiers et si possible une procédure commune de dénonciation spontanée ! Une éventuelle initiative individuelle non concertée d’un héritier pourrait priver les autres héritiers de la possibilité de bénéficier de cette procédure de rappel d’impôt simplifié. Pour éviter de telles situations inextricables entre héritiers, le propriétaire immobilier non régularisé a intérêt à régler sa situation fiscale de son vivant.

En conclusion

L’EAR a donc débuté cette année et l’on peut partir du principe que dès 2018, les autorités fiscales auront dans leurs mains les informations concernant non seulement les comptes bancaires à proprement parlé, mais potentiellement également celles leur permettant de « remonter » jusqu’aux immeubles auxquels certains comptes bancaires sont étroitement liés.

Même si la récolte des informations a formellement commencé dès le 1er janvier 2017, il n’est pas trop tard pour profiter de la procédure de dénonciation spontanée. Les contribuables qui n’auront pas régularisé leur situation d’ici 2018 ne pourront par contre plus faire appel à cette procédure qui économise pourtant la peine de l’amende, voire des sanctions pénales encore plus graves. Il est probable que l’administration fiscale se montrera peu compatissante envers les contribuables qui seront rattrapés via l’EAR.

Il faut donc saisir cette dernière chance pour régulariser le passé !